Dans les quartiers vallonnés de Butembo, au Nord-Kivu, dans l’Est de la RDC, il suffit d’évoquer la contraception pour réveiller des regards gênés, des sourires forcés, et parfois des murmures de reproche. Ici, comme dans beaucoup d’autres coins du pays, parler de planning familial reste un sujet sensible, souvent confondu avec immoralité, stérilité ou « désobéissance aux coutumes«
Dans cette ville commerciale animée, des voix s’élèvent de plus en plus pour briser le silence, informer sans juger, et surtout sauver des vies. À Butembo, moins de 18 % des femmes en âge de procréer utilisent une méthode contraceptive, selon les données de la zone de santé urbaine de Katwa (rapport 2024). Chez les adolescentes et jeunes non mariées, ce taux chute à moins de 7 %. Pourtant, les besoins non satisfaits sont élevés. « Il y a trop de malentendus. Les gens croient encore que la contraception rend stérile ou pousse les filles à devenir incontrôlables…», explique Madame Béatrice, infirmière au centre de santé de Vutahira. « Mais c’est le contraire. Une fille informée est une fille protégée. »
Des chiffres alarmants
Pour beaucoup des familles locales, le planning familial est perçu comme un affront aux valeurs traditionnelles, voir un encouragement à la débauche pour les jeunes. « Dans notre milieu, quand une fille demande des informations sur la pilule ou les préservatifs, les parents pensent tout de suite qu’elle veut se prostituer… » Confie Georgine Kyakimwa, une des paires éducatrices à l’espace des jeunes du quartier Biondi (en ville e Butembo). Ce tabou générationnel empêche de nombreux jeunes, en particulier les filles, d’accéder à une information correcte sur les droits sexuels et reproductifs. Résultat : les grossesses précoces, les mariages forcés, les infections sexuellement transmissibles et les avortements clandestins se multiplient dans la communauté.
Au cours des cinq dernières années, sur une moyenne annuelle de 6231 grossesses enregistrées en zone de santé de Butembo, 1240 soit 20% sont des grossesses précoces (Rapport 2024). Ce même rapport mentionne que chaque année, la zone de santé de Butembo enregistre en moyenne 4555 nouveau cas d’infection sexuellement transmissibles chez les jeunes.

Des familles divisées…
Dans plusieurs familles, même les femmes mariées ont peur d’évoquer le planning familial. L’homme reste souvent le seul décideur en la matière et l’idée même de limiter les naissances est perçue comme une rébellion conjugale. D’autres familles par ailleurs croient que les contraceptifs rendent stérile ou provoquent des maladies.
« Mon mari m’a déjà interdit la pilule. Il m’a toujours dit que c’est contre la volonté de Dieu. A 37 ans, j’ai 8 enfants… Je suis fatiguée mais… je n’ose pas le contrarier » témoigne une mère, rencontré à Vutsundo situé dans la partie Ouest de la ville de Butembo.
Pourtant plusieurs structures sanitaires offrent des services de planification familiale, parfois gratuits, avec l’appui des partenaires comme Farmamundi, FESPSI, PPSSP etc. Mais la faible sensibilisation, la honte ou la peur d’être jugé freinent leur fréquentation. « Nous avons les méthodes mais très peu des jeunes filles osent venir. Elles ont peur que quelqu’un les voit entrer ici » explique Docteur KAKULE SAIBA, médecin au centre hospitalier Fepsi.
Dans plusieurs structure comme le Centre de Santé Makasi, le CH FEPSI ou l’hôpital générale de référence de Kitatumba, etc les prestataires ont déjà été formés pour offrir un accueil discret, sans jugement, surtout aux jeunes « Même si une fille vient seule, on l’écoute, on l’oriente. On lui parle de toutes les méthodes : implants, pilule, préservatifs, collier du cycle. C’est à elle de choisir ce qui lui convient », explique l’infirmier titulaire de Centre de santé Makasi.
Des initiatives locales encouragent le changement des mentalités Les soignants insistent aussi sur l’importance d’impliquer les familles, les leaders religieux, et même les enseignants, pour faire passer le message.
« La contraception n’est pas contre la Bible, ni contre la culture. Elle protège la santé, préserve les rêves. Il faut que les communautés comprennent ça », plaide une sage-femme de l’hôpital général de Kitatumba.

© Jérémie kyaswekera
Des associations locales comme le Collectif des femmes journalistes (CFJ) mettent en place des Espaces sûrs pour les jeunes adolescents dans plusieurs quartiers de la ville et des émissions communautaires dans le souci d’accroitre la sensibilisation et briser les mythes autour de cette question. Grâce à ces efforts, de plus en plus de couples, jeunes ou mariés viennent ensemble consulter, poser des questions, chercher de l’information où pour se renseigner.
Dans le quartier de Kambali, une mère de six enfants témoigne avec un sourire timide : « J’ai commencé à utiliser l’injection après ma dernière grossesse. Mon mari était contre au début, mais quand il a vu que j’étais plus en forme, plus organisée à la maison, il a compris. Aujourd’hui, c’est lui qui m’accompagne au centre de santé. »
Même chez les jeunes, les perceptions commencent à évoluer. Jonathan, 20 ans, étudiant en pédagogie à l’ISP Butembo, raconte : « J’écoutais les émissions sur la Radio Salama. Un jour, j’ai osé poser une question sur les pillules. L’animateur a répondu avec respect. C’est comme ça que j’ai compris que se protéger, ce n’est pas être débauché, c’est être responsable.» À l’école secondaire de Vutsundo, une élève de 17 ans témoigne lors d’un débat scolaire : « Ma mère m’a dit que parler de sexualité, c’est la honte. Mais moi, je veux étudier, réussir. Si la contraception m’aide à me concentrer sur mes objectifs, alors je choisis d’en parler et de me protéger.»
Lire la suite : RDC : briser les tabous de la contraception, la bataille est encore fragile mais prometteuse à ButemboLes acteurs locaux sont restent confiant que le changement viendra de la confiance, pas de la confrontation. Il faut respecter les croyances, mais ouvrir la porte au dialogue, avec des informations claires, adaptées à chaque public. Butembo n’est peut-être pas encore un modèle de révolution reproductive, mais chaque parent rassuré, chaque jeune mieux informé, chaque couple qui décide ensemble, est une victoire contre le poids des tabous.
Jérémie Kyaswekera