Sous un soleil ardent, le chemin caillouteux qui mène au centre de santé de Kahondo, dans la zone de santé de Vuhovi témoigne de la dureté de la vie dans cette zone rurale du Nord-Kivu. Ici, loin des caméras et des grands débats politiques, des centaines de familles ont trouvé refuge après avoir fui les combats du M23 dans le Rutshuru ou les massacres répétés des ADF à Beni. Mais dans le silence de ses collines et l’humidité de ses vallées, une autre crise frappe les plus jeunes : celle des grossesses précoces chez les adolescentes déplacées.
Mardi, 18 février 2025, le marché de Vuhovi est timidement animé. Situé dans la chefferie de Bashu, à environ 15 kilometre de la ville de Butembo, à l’Est de la RDC. Sous l’ombre d’un étalage à la sortie du marché de Vuhovi, un groupe d’environ quatre filles discutent à voix basse, les regards souvent fuyants. Parmi elles, Aline, 15 ans, d’un air déconcerté et d’une voix tremblante, raconte comment la fuite de son village a bouleversé sa vie et qu’aujourd’hui elle est tombée enceinte mais elle ne sait comment l’annoncer : « je ne sais pas s’il va l’accepter lorsque je vais le lui annoncer car il m’avait juste aidé quand on était arrivé ici en fuyant la guerre »
Lorsque Aline m’aperçoit au moment où je m’approchais du groupe, son regard se perd dans le vide, le poids de la grossesse précoce visible sur ses traits juvéniles… Je m’assois à une distance respectueuse, sans interrompre. Une des filles, la plus âgée, me jette un coup d’œil méfiant, Aline finit par tourner lentement la tête vers moi mais n’arrête de raconter son histoire « … mon frère m’a demandé d’aller rejoindre l’auteur de la grossesse… ».
En réalité, Aline n’est pas seule. Ses mots sont ceux de centaines d’autres jeunes filles déplacées, réduites au silence par la honte, l’insécurité et l’absence de soutien. Ce jour-là, au marché de Vuhovi, Aline n’a pas seulement raconté une histoire : elle a tendu un miroir de ce que vivent tant de jeunes filles du Nord-Kivu, dans l’Est de la RDC.
Un peu plus loin du marché, dans une maisonnette en planche, servant de bistrot local, je retrouve Prisca, 16 ans, une autre déplacée. Assise sur une petite chaise en bois, elle se tient la joue, le regard perdu, le ventre déjà bien arrondi sous son t-shirt trop large. Prisca travaille ici comme serveuse. Lorsqu’elle me sert un verre, je m’installe à ses côtés, on bavarde un peu, puis elle n’hésite pas à me raconter son histoire tragique : « … J’ai perdu mes parents dans une attaque des ADF. Je vis dans une famille qui m’a accuilli, mais personne ne peut payer mes frais. J’ai trouvé du travail ici comme serveuse. C’est là que tout a basculé... » Aujourd’hui enceinte, elle vit dans la peur du jugements des autres.
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Au centre de santé de Kahondo, l’infirmier titulaire confie que chaque trimestre, la structure reçois entre 5 et 10 jeunes filles enceintes, souvent victimes de violences ou contraintes à des rapports sexuels d’échange pour leur survivre. Il ajoute que la zone de santé dans son ensemble « enregistre chaque année au-moins 600 grossesses précoces dont plus 60% sont déplacées de guerre. Certaines sont enceintes pour la deuxième fois. » Ces chiffres, bien que sous-estimés selon les agents communautaires, traduisent une réalité alarmante dans une zone où les services de santé sont déjà débordés.
Les structures manquent de moyens, et les consultations prénatales pour adolescentes sont rares. L’accès à la contraception reste limité, et les tabous sociaux empêchent les filles de demander de l’aide.
Dans ce contexte, la stigmatisation isole ces jeunes mères. Beaucoup abandonnent définitivement l’école, sacrifiant leurs rêves d’avenir. Dans les ruelles poussiéreuses de Vuhovi, les histoires de ces adolescentes restent souvent tues, noyées dans le tumulte des conflits.
Un parent déplacé, rencontré près du centre de santé, exprime son impuissance : « Ma fille n’a que 15 ans, elle est tombée enceinte ici, dans le site. Moi-même je vis dans une famille d’accueil. Elle n’avait d’autres choix que d’aller rejoindre son mari... » explique-t-elle d’une voix qui semble s’étrangler dans la gorge.
Ce témoignage met en lumière l’effondrement des structures familiales et le non-respect du droit à la protection des enfants. Le chef du village, lui, tire la sonnette d’alarme : « Ces filles sont abandonnées par le système. Elles n’ont ni école, ni abri, ni accès aux services de santé sexuelle et reproductive. Leur dignité est bafouée chaque jour. C’est une génération que nous perdons.»
Cette autorité de base se souvient que la situation était bien plus critique par le passé. Aujourd’hui, grâce au soutien des partenaires qui appuient les centres de santé locaux avec des kits médicaux et des activités de sensibilisation, les choses vont en s’améliorant. Selon lui, cette aide permet d’éviter le pire, car certaines jeunes filles sont désormais prises en charge médicalement, et dans certains cas, les factures de soins sont même couvertes par les partenaires « Mais il faudra investir beaucoup plus dans la prévention …», insiste-t-il, soulignant que soigner ne suffit pas si rien n’est fait pour éviter que ces situations se répètent.
Du côté des jeunes eux-mêmes, le représentant du conseil de la jeunesse en chefferie de Bashu est formel dans ses propos « Ce sont nos droits qui sont violés. Le droit à la santé, à l’éducation, à la protection contre les violences. Nous demandons que les autorités nous écoutent, qu’elles agissent... » S’insurgent Roland Vivaya.
Mais ce qui inquiète le plus, c’est le sentiment d’impunité. Dans plusieurs cas évoqués par les familles, les auteurs de ces violences sont connus dans la communauté, parfois même identifiés par les victimes, mais continuent à circuler librement, protégés par leur position sociale ou leurs liens avec certaines autorités locales. Cette impunité brise les familles, décourage les plaintes, et installe un silence complice autour d’actes pourtant criminels. Une mère lâche, les larmes aux yeux.
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Pour sortir de cette crise, les acteurs locaux recommandent un renforcement des mécanismes communautaires de protection, la mise en place d’un système d’alerte rapide, et une justice de proximité capable de traiter rapidement les cas d’abus. L’école, d’après Roland Vivaya, doit redevenir un lieu de refuge, et non un luxe. « …Et les filles, même enceintes, doivent avoir droit à une seconde chance… »
Des organisations comme FEPSI tentent d’ouvrir des espaces sûrs où les filles peuvent parler et recevoir soutien. Mais la route est encore longue pour briser le silence et protéger ces jeunes vies fragiles.
À Vuhovi, au milieu des défis quotidiens, la lutte contre les grossesses précoces est une bataille pour redonner à ces filles un avenir, une voix, et surtout, une justice longtemps attendue.
Jérémie Kyaswekera